Le Pouvoir

Pouvoir et Phallus

Le phallus en psychanalyse renvoie à un concept important qui s’oriente autour de la sexualité dans la relation du désir et d’un sentiment de castration au niveau de l’inconscient. Elle apparaît tardivement chez Freud ou dans un registre indirect et deviendra un élément essentiel, que je qualifierai de central chez Lacan. Le sujet est de décrypter comment le phallus s’implique à la fois dans l’imaginaire et dans le symbolique à l’intérieur du sujet. Chaque protagoniste réagit et construit ces dimensions différemment. Le phallus corrobore auprès de Freud avec l’organe génital imaginaire et le sentiment du pouvoir infantile; avec Mélanie Klein, il s’actionne essentiellement comme une représentation fantasmagorique structurant les positions psychiques fantasmatique dès la naissance tandis qu’avec Lacan, il se présente principalement comme un signifiant du manque dans l’Autre et de la castration symbolique; enfin chez Jean Laplanche il s’oriente sur l’objectif du « phallus imaginaire » dans l’inconscient du sujet, la résonance du désir de la mère chez le sujet tandis que Green étudiera le rapport du phallus et les fantasmes dépressifs du sujet.

Le phallus Freudien

Il n’utilisera pas le terme phallus au cours de ses premiers écrits mais l’idée est sous-entendue dans les hypothèses élaborées sur la sexualité infantile. Le phallus apparaît tout d’abord comme une construction imaginaire chez le petit enfant. Dans son œuvre écrite en 1905, La sexualité infantile, il écrit dans son œuvre (1)« L'enfant masculin croit fermement que toutes les personnes qu'il connaît possèdent un pénis ». Puis en 1908-1909, dans « La sexualité infantile et le cas clinique du « Petit Hans », il décrit comment ce petit être projette un organe masculin à toute représentation paternelle et réalise peu à peu que certains membres de sa famille comme sa mère n’en possède pas. Quand il réalise cette différence, il éprouve comme une sensation de mutilation psychique représenté par une mutilation du pénis qui le renvoie à l’intérieur de lui-même à un sentiment d’angoisse de               castration, (2) « Cette vision de la mutilation du sexe féminin entraîne pour le garçon l'angoisse de castration » écrit-il dans « Le trouble psychogène de la vision » en 1924. Il observe que les petits enfants aux cours des premiers stades de développement pensent que les petites filles comme leurs sœurs acquerront leur pénis plus tard avant d’intégrer la différence dans une notion de « moins que ». La petite fille en se comparant éprouve une blessure narcissique profonde en comprenant qu’elle a une partie en moins, qu’elle lui « manque un pénis ». C’est en 1923 que Freud introduit de manière claire le concept de phallus dans « le primat du phallus » dans son œuvre révisée « Trois essais sur la sexualité », (3) « L’organisation infantile de la sexualité est dominée par le primat du phallus ». L’enfant considère qu’il existe qu’un organe génital chez chacun des deux genres.

Le phallus est considéré comme un organe imaginaire et symbolique unique et domine la sexualité infantile avant la maturation génitale. Il distingue une stricte différence entre le pénis qui représente l’organe masculin réel et le phallus qui est synonyme d’une représentation fantasmatique du pouvoir sexuel. Le petit enfant est certain que le pénis appartient à chaque être et chaque personne devrait en posséder un. Le phallus, lui, est un organe imaginaire, unique, il rejette toute notion de manque, de différence. Il est en quelque sorte la représentation de la valeur du sujet, l’omnipotence. Freud considère que le complexe de castration implique donc sans détour l’existence de la phase du primat du phallus « La menace de castration impose une limite à l’omnipotence narcissique de l’enfant ».
Pour la petite fille, la différence équivaut à une castration imaginaire. D’un point de vue narcissique, la fonction phallique interfère dans la construction de « L’idéal du moi » et dans l’identification qui caractérise l’envie. Pour la petite fille, elle vit difficilement la situation et l’absence de l’organe masculin est ressentie comme une perte irrémédiable qui s’accompagne d’un sentiment de honte et un rejet de la femme et parfois qui désire fantasmatiquement en posséder un. Pour le petit garçon, le phallus s’accompagne d’une sensation de toute puissance. A la sortie du complexe d’Œdipe, il comprend qu’il doit renoncer à sa toute puissance et s’identifier à l’autorité paternelle. C’est dans ce rapport au niveau du phallus que le complexe d’Œdipe se caractérise qui permet peu à peu l’intégration de la Loi dans les instances du Surmoi. Freud relie le phallus dans la pulsion à la libido primaire. Le stade phallique est celui de la complète cohésion des pulsions autour de l’organe génital, la libido se concentrant sur le phallus et la castration est perçue comme l’altération de cette volonté initiale.

Certains sujets vont chercher à maintenir à tout prix l’imaginaire du phallus en incorporant la notion de fétichisme lorsqu’ils sont confrontés à la castration en défendant l’illusion phallique en fétichisation un objet particulier et représente en quelque sorte le dernier souvenir avant le choc de la castration. Ainsi, dans le fétichisme, le sujet refuse de passer du registre imaginaire au symbolique ; (5) « Le fétiche est un substitut du pénis de la femme, substitut qui dénie l'absence et maintient la croyance. » Ainsi, chez les sujets névrosés, des fantasmes de scénarios imaginaires tentent de reconstruire un monde sans castration, tous ses scénarios traduisent l’effort pour nier la perte et restaurer l’illusion phallique originelle.

 

Le phallus Kleinien

C’est une des premières psychanalystes à avoir travaillé auprès des enfants à l’âge précoce. Elle observe et interprète en mettant en valeur les fantasmes existant dès le plus jeune âge, des fantasmes dit archaïque bien avant l’entrée au stade phallique.

L’enfant traverse une position skizo-paranoïde qui renvoie à un rapport agressif et fantasmatique dans sa relation d’objet partiel. La dimension imaginaire du phallus se caractérise par un fantasme de persécution et de toute puissance. Il peut s’imaginer posséder le phallus ou que sa mère le détient dans un rapport de pouvoir agressif. Dans cette phase, la mère et le père sont perçus comme un objet partiel. Ils ne représentent pas alors un objet concret et global mais ils sont ressentis et imagés comme des représentations fantasmatiques d’objets partiels. La relation phallique situe la mère, le père, dans une rivalité et donc comme objet partiel. Le phallus pénètre dans sa théorie de manière indirecte. Les fantasmes phalliques s’effacent au profit de la culpabilité et du besoin de réparation. Klein décrit ses angoisses précoces ne représentent pas une castration réelle mais se traduit par une réaction agressive et mélancolique de l’enfant. Elle introduit le concept de mère incestuelle fantasmatique pour rendre compte de ces images incestueuses du père. Cette position met en évidence la reconnaissance de la mère comme objet total essentiel. L’enfant se sent responsable de ses pulsions détruisant l’objet aimant, ce qui apparaît comme une castration symbolique affective.

Klein introduit la notion du phallus dès les premiers mois de vie psychique bien avant le stade phallique. Le nourrisson se trouve confronté dans une relation d’objet partiel, il ne perçoit pas l’objet dans son entité, la maturité biologique ne pouvant introduire cette notion. Cette relation a une proportion et une vision de fantasmes archaïques de possession, de destruction, de réparation accompagnée d’affects violents, ambivalents, l’envie, la haine, l’amour, la culpabilité. Le phallus est imprégné dans un premier temps de représentations imaginaires précoces puis d’une symbolisation de plus en plus progressive. Puis elle oscille entre la fonction imaginaire dans la relation d’objet persécuté, désiré, détruit et une fonction symbolique qui s’intègre doucement, de plus en plus présente représentant des objets total, intégrés et différenciés. Le phallus, l’objet imaginaire est décrit dans une position archaïque, elle fait partie inhérente de l’enfant et n’est pas simplement dû à l’action de l’Autre, (6) « Dès les premiers mois de la vie, les fantasmes de pénétration, de possession et de destruction des organes sexuels des parents peuplent l’imaginaire infantile » décrit-elle. Le phallus est imagé par l’enfant comme une puissance inconditionnelle, représentant le pouvoir parental souvent attribué au père mais aussi à la mère phallique. C’est une des découvertes les plus pertinentes et osées de Mme Klein. Non pas obligatoirement ses interprétations au cours de ses œuvres mais l’existence de l’imaginaire, du fantasme dès la toute petite enfance. L’enfant fantasme la présence d’un pénis caché à l’intérieur du corps de sa mère qu’il cherchera lui-même à dérober ou à détruire. Le clivage étant encore prédominant, les fantasmes apparaissent de manière manichéenne, les fantasmes archaïques préfigurant l’investissement imaginaire du phallus. Ils sont très éloignés d’une représentation réaliste du sexe ou de la génitalité. Ils sont fusionnels, démesurés, imprégnés d’angoisses primaires de persécution. Le phallus, même s’il est vécu comme objet partiel incorpore une puissance fantasmatique qui se retrouve dans la notion d’imaginaire.

 

 

 

Le sein, le pénis sont vécus dans un premier temps séparément de la mère ou du père, (7) « L'organe génital, particulièrement dans les fantasmes d'attaque et de vol, est chargé de significations multiples, liées à des angoisses de persécution et des désirs de possession totale. »

La dimension imaginaire est omniprésente. Il s’imagine pouvoir s’approprier le pouvoir parental en possédant le phallus ou, à l’inverse, est terrorisé d’en être privé. L’envie du pénis chez Klein n’est pas seulement une envie de l’organe, c’est une envie du pouvoir créatif qu’il représente ; (8) « L’envie du sein ou du pénis est fondamentalement l’envie de la capacité créatrice et nourricière de l’objet. ». Il illustre le lien profond entre imaginaire et la position émotionnelle qui influence la perception de l’objet et provoque l’envie, la haine, la culpabilité  

La symbolisation est un processus fragile qui intègre une gérance du conflit. L’enfant va apprendre à accepter la séparation, la perte et l’altérité de l’objet, (9) « L’enfant parvient progressivement à percevoir les objets non plus seulement dans leur dimension immédiate, mais comme représentants de relations et de significations émotionnelles. » L’enfant renonce à posséder l’objet dans un rapport identitaire et fusionnel mais il prend peu à peu conscience de son existence, de sa fonction représentative. La structure symbolique s’intériorise dans la relation à l’objet, le processus symbolique s’installe entre le Moi, le petit être et l’objet, le parent. Un apaisement en découle et permet une adaptation qui déclenche une fluidité dans le passage des différentes fixations. C’est alors que le fantasme de possession se désagrège et permet l’apparition du phallus en tant que signifiant dans l’énergie libidinale ; (10) « C’est en supportant la culpabilité et en élaborant le deuil des objets internes attaqués que l'enfant développe sa capacité de symbolisation. » Elle fait référence aux trois notions qui sont celles de la reconnaissance de la perte, la culpabilité et les fantasmes destructeurs et le travail de réparation intérieure. L’enfant réalise qu’il ne peut ni détruire ni posséder totalement l’objet. Il intègre la notion de manque, l’attente ou la patience pour parvenir à combler le manque et d’accepter la notion du manque selon les situations présentées. Il intègre la différenciation entre le soi et l’autre. Klein entreprend l’introduction à la dimension du phallus lacanien. Le phallus représente ce qui structure la loi du désir, ce qui s’éloigne de la relation psychotique du bébé et l’objet, un sentiment de symbiose fusionnel. Le bébé utilise le clivage comme mécanisme de défense et lorsque les angoisses sont très fortes, la réactivation des angoisses archaïques ressurgit, ce que l’on nomme une régression. La symbolisation recule alors et les objets redeviennent persécuteurs ; (11) « Les attaques contre les objets symboliques reflètent l’échec du moi à maintenir l’intégration contre la pression des angoisses primaires. » Le phallus se positionne et alterne entre celle de la phase schizo-paranoïde et celle décrite comme une phase de nature dépressive. Dans la première, le phallus paraît menaçant et persécutant et dans la seconde, il est intégré et accepté accompagné d’un sentiment douloureux mais nécessaire. C’est d’ailleurs ce qui constitue les prémisses du Surmoi, le passage de la première à la seconde permet l’intégration symbolique du phallus.

 

Le phallus lacanien

Lacan élabore le phallus dans un concept qui repose sur une opération linguistique essentielle dans son texte élaboré en 1958 dans « La signification du phallus ». Il le détache de toute connotation anatomique comme le pur signifiant du désir, (12) « Le phallus n'est pas un fantasme, mais un signifiant, dont il s'agit de soutenir les effets dans le sujet par la situation de l'Autre ». Le phallus devient donc non pas la chose qui évoque le désir mais ce qui caractérise dans la chaîne signifiante, le manque. Le contenu du désir se structure en s’appuyant sur l’absence et ne démarre pas depuis une plénitude originaire. Le phallus vient montrer l’emplacement qui constitue et représente ce vide impossible à combler, un écart irréversible au sein du langage. Il signifie ce que le désir ambitionne, ce qui le poursuit inlassablement mais qui se dérobe continuellement, (13) « Le phallus est ce signifiant destiné à désigner comme tel l’effet du signifiant, en tant que le sujet s'y constitue comme effet de perte. » L’envergure de cette réalisation comporte deux aspects, celle de la dissociation irrévocable du phallus du pénis, de toute relation biologique du désir mais aussi la représentation du désir chez le sujet comme structure intégrante d’un signifiant et que le contenu de son existence est celle de la perte que représente l’incongruence avec le « Moi ». La situation du phallus est inséparablement liée à la castration symbolique structurant et représentant par là-même, l’une des clefs du sujet. Elle n’est donc pas, cette castration, la consécration d’une opération provenant du réelle ou de l’imaginaire mais celle du registre du symbolique. D’ailleurs, dans son Séminaire IV, « La relation d'objet », Lacan déclare dans son discours, (14) « Ce n’est pas le pénis qui est coupé ; c’est le phallus en tant que signifiant, c’est-à-dire la position même du désir qui est entamée. » Ainsi le sujet renonce en intégrant la symbolique l’illusion de pouvoir atteindre la finitude imaginaire organisée et visualisée à l’intérieur du sujet. Cette castration a pour vocation et mérite de créer un mouvement, une action et se structure dans le manque et soutient le désir. La fonction du phallus est une énonciation de la métaphore paternelle, un concept enrichi dans son Séminaire V, « Les formation de l’inconscient. La métaphore paternelle est synonyme du substitut symbolique par lequel le désir de la mère s’obstrue provoquant la potentialité pour le sujet d’accéder à son propre désir, (15) « C’est par le Nom-du-Père que se substitue à la place du désir de la mère le signifiant du manque dans l’Autre, conditionnant dès lors la fonction du phallus comme signifiant. » En effet, par l’intégration du Nom-du-Père le phallus est la réalisation et l’intégration du symbole de l’absence dans la mère, l’Autre et provoque chez le sujet de pénétrer dans son propre désir. S’il ne parvient pas à cette intégration, le sujet reste sous l’emprise d’une subornation de l’imaginaire, la consécration d’un rapport direct et aliénant du désir maternel, une décision caractéristique que l’on retrouve dans la psychose. Le phallus constitue le troisième paramètre indispensable qui vient interférer dans le rapport du sujet à l’Autre, qui fait obstacle de s’y engouffrer complètement.

Le phallus est le symbole du désir dans l’espèce humaine qui représente le signifiant en tant que manque comme élément essentiel tout en contribuant au sujet de s’établir dans un langage qui a pour vocation de lui permettre de côtoyer son propre désir.

Lacan après avoir abordé la fonction du phallus comme signifiant du manque structurant le désir, il aborde la position qu’il possède dans l’économie de la jouissance dans l’embranchement de l’action de sexuer et le caractère, la qualité de ce qui est l’Autre. La différentiation entre le phallus symbolique et le phallus imaginaire permet de réaliser les difficultés de démêler la jouissance humaine. La signification du phallus chez Lacan représente l’imaginaire qui relie le sujet sur lequel il s’identifie en tant qu’objet de l’Autre, son signifiant est la représentation de ce qui manque pour l’Autre. Le phallus est l’objet qui s’empare d’une empreinte narcissique, il définit ce que le sujet croit être pour répondre à la demande de l’Autre. Dans la dimension symbolique, au contraire, il est le signifiant d’un manque indomptable et l’acceptation de ce qui est irréalisable. Il perçoit deux positions contradictoires, celle de l’homme qui est d’avoir le phallus et celle de la femme ; d’être le phallus. Il ne fait pas référence à des dispositions biologiques mais structurelles rapportant comment chacun des protagonistes se situe à la situation phallique du désir. Dans son séminaire XX, Encore, élaboré en 1972-1973, il introduit une nouvelle notion sur la jouissance qui outrepasse la seule sphère du désir aménagé par le langage, (16) « Il n’y a de jouissance que phallique. » Il définit que toute jouissance du sujet est représentée par la fonction du phallus en tant que signifiant du manque. La « pur » jouissance est donc inatteignable et n’est qu’une illusion, délimité par le langage, elle ne peut jamais atteindre l’Autre absolu car elle est enserrée par la castration symbolique. La jouissance phallique restera une jouissance du manque, partielle, définie par la nation de perte qui renvoie à la structure même du désir qui représente le désir de l’Autre mais qui dans sa réalité ne peut refléter que le balbutiement de l’Autre et ne peut représenter toute l’entité de l’Autre. Cette jouissance illusoire est bilatérale, elle s’adresse aussi bien aux hommes qu’aux femmes et concerne tout être humain. Il aborde une autre notion, l’idée d’une Autre jouissance, le « pas-tout ». Plus précisément, il évoque la jouissance féminine, (17) « Il y a chez la femme--en tant qu’elle n’est pas toute phallique--une jouissance supplémentaire. » La femme dans la théorie lacanienne n’est pas totalement résignée à la fonction phallique, elle corrobore à la jouissance phallique comme tout être parlant mais elle possède en plus la possibilité d’accéder à une jouissance qui se situe en dehors du langage donc de la symbolisation. Cette jouissance de l’Autre, contrairement à celle de l'homme, ne passe pas par la castration symbolique, elle se situe en dehors de toute description car elle relève du Réel. Il évoque l’ignorance et sa non possibilité de son évocation caractérisée mais il prend en compte qu’il ne peut, lorsqu’il l’évoque se limiter à son existence en dehors du langage, (18) « Cette jouissance, je ne peux en dire plus, parce que je n’en sais rien. » Chez l’homme le phallus a donc une limite qui se situe dans le langage et le désir, chez la femme, il existe au-delà une jouissance en dehors du phallus.

Lacan à la fin de sa vie incorpore la fonction phallique dans une topologie, celle d’un nœud borroméen, celle du Réel, de la Symbolique et de l’Imaginaire, le RSI. Dans les années 1970 Lacan élabore des représentations topologiques afin de comprendre la structure du sujet et s’éloigne du champ spécifique du langage.

En 1974-1975 notamment, dans son Séminaire XXII, il développe et précise les contours et la structure du nœud borroméen composé de trois anneaux entrelacés. Le premier représente le Réel, le second, la Symbolique, le dernier l’Imaginaire. Pour la mise en place du phallus, il va discerner deux conditions indispensables à son émergence. Dans la première condition, si l’un est brisé, les trois se détachent et aucun équilibre n’est possible sans le maintien du lien entre les trois. L’existence de ces trois paramètres subsiste non pas dans l’observation du contenu mais le maintien de ce nouage. C’est une découverte essentielle à la compréhension du sujet, l’existence et la compréhension de la structure du nœud borroméen. Le symptôme va se caractériser par la mise en évidence d’une éventuelle faillite de cette structure de liens tout en maintenant l’existence de la structure d’ensemble. Le phallus prend donc une nouvelle perspective, il représente non seulement le manque du langage mais il se définit par le trou dans la structure du nœud borroméen. Il perce le cercle dans les trois paramètres et permet par sa perforation la création et la naissance pour le sujet qui organise son déséquilibre par les liens qui le relie à ces trous. Le phallus apparaît comme une fonction structurelle mais plus simplement comme un signifiant. Il représente une organisation de la perte indispensable pour que le sujet émerge dans « Être ». Sans le trou phallique, il ne peut y avoir de structure, il n’y aurait qu’une anaplasique, un plein indifférencié synonyme de plénitude, une situation où la béatitude impliquerait toute forme contraire à une action qui mènerait à la disparition tôt ou tard de l’être. Ce trou est donc la substance qui permet paradoxalement la tenue des trois paramètres par la mise en place d’une organisation qui s’oriente par les liens du nœud borroméen pour gérer cette perte.  Au cours du Séminaire XXIII qui a lieu en 1975 et 1976, Lacan introduit le sintome, un ultime anneau dans le nouage. Il a pour fonction de suppléance, son objectif est la réparation nécessaire à la stabilisation défaillante du nouage, (19) « Le sinthome est ce qui permet que Réel, Symbolique et Imaginaire tiennent ensemble, quand le Nom-du-Père fait défaut. » Présentement, le phallus est envisagé comme l’un des premiers « sinthomes » dans le parcours du sujet qui se situe à la fois dans les trois registres que constituent le RSI qui s’apparente à celle du désir et une jouissance simultanée plus acceptable. Dans la psychose, c’est parce que la fonction phallique est inaccessible que le sujet tente de construire un sinthome de suppléance. La lecture de Joyce par Lacan dans Le sinthome met en évidence la nature pathologique de la structure inadaptée à la réalité qui s’offre au sujet. Joyce écrit une œuvre littéraire qui fait sinthome représentant un phallus symbolique déficient. Le phallus est donc pour Lacan non seulement une représentation du manque nécessaire mais aussi par la capacité du sujet à organiser les liens qui maintiennent à la fois ce trou dans sa gérance. Il est ce qui rend possible l'existence même du sujet parlant comme structure nouée. Le phallus n'est donc pas une simple figure symbolique. Il est le point de surgissement du Réel dans la structure du langage et de l’imaginaire. Il est l'énigme qui traverse la condition humaine : celle de devoir être structuré par une perte, d'en faire un ressort du désir, de la jouissance et de la parole.

Phallus chez Jean Laplanche

Jean Laplanche met en valeur le rôle mystère du signifiant maternel et sur la prééminence de l’Autre, celui qui se situe en dehors du sujet externe. Il repousse l’idée du phallus comme moteur du développement chez l’humain. Il s’oppose au concept du « primat phallique » évoqué par Freud. Selon lui, l’inconscient ne peut pas représenter directement une privation car l’absence est une négation qui relève du conscient, notre cerveau dans l’inconscient ne peut représenter ce qui n’existe pas. Dans Essais sur l’Autre écrit en 1999, il souligne qu’une coupure du corps, celui d’un corps couper en deux mille morceaux n’existe que dans l’imaginaire, mais que soustraire la partie phallus est la représentation de ce que l’on ne peut représenter et que l’inexistence de cette représentation n’est que la résultant de la représentation de la négation aboutissant à la castration. La négation ne peut aboutir dans l’inconscient. C’est donc la partie consciente qui va prendre en compte et incorporer la castration en découvrant la différence (20) « L'absence d'un pénis chez la mère n'est pas un fait inconscient, mais une découverte consciente ». Il considère donc que le phallus, par son effet de manque ou de perte, ne peut être subsistant et ne peut être représenté par une absence ou une présence réelle dans l’inconscient. Il n’y pas de fantasme phallique, il n’est qu’un signifié que l’on associe au message énigmatique mais séducteur maternel. Sa représentation du corps, celle de l’enfant est le fruit d’invention imaginaire pour qui il répond aux différentes versions du désir de la mère. L’enfant ne se méprend pas sur l’absence de pénis chez la mère et l’associe pas au concept de castration. Le phallus imaginaire  devient ainsi une illusion de l’ego face à la vérité de l’autre, celle de la mère.

Laplanche situe le phallus comme un élément qui structure la rencontre du sujet avec l’Autre et le désir de l’Autre. Le phallus devient donc simultanément un objet manquant et un objet désiré. Cette perception est naturellement liée à la théorie de la séduction. Il considère que le désir de l’enfant est structuré par les messages inconscients envoyés par l’Autre, surtout la mère mais aussi les adultes. Le phallus est au cœur de l’articulation entre le désir et la première rencontre avec la sexualité qui se fait à travers la séduction de l’adulte, notamment la relation mère-enfant. Vu comme la structuration du désir, il se met en opposition partiel avec l’idée qu’elle provient essentiellement, dans une vision d’intégration symboliques par la période exclusive et le concept de castration freudien.

 

Phallus chez André Green

André Green explore le phallus sous l’angle des fantasmes dépressifs et du corps. Il souligne que le phallus imaginaire qui est lié à la toute-puissance et à l’enveloppe narcissique du corps entre en crise lorsque survient la reconnaissance symbolique de la perte. Dans Le Complexe de castration (1965) et d’autres écrits, Green insiste sur la déchéance du phallus « comme objet ». Lorsque l’illusion phallique tombe, c’est l’installation de la dépression. Il introduit notamment la notion d’« objet phallique » représentant un objet interne résultant de l’identification au phallus qui se trouve trahi par la castration symbolique. On peut retenir de Green que le phallus se trouve à la jonction de l’imaginaire et du symbolique : c’est un concret imaginaire de l’absence symbolique, porteur de l’angoisse fondamentale de perte.

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 Il insiste aussi sur la relation entre « phallus imaginaire » et refoulement primitif : (21) « le fantasme d’un phallus se construit d’autant plus qu’il y a recouvrement du manque inconscient. »

André Green étudie la question du phallus d’une manière complexe et nuancée et qui élargit en s’éloignant de la conception typique freudienne. Il cherchera à développer en se concentrant sur les répercussions du phallus dans la structure psychique du sujet en la collaborant avec les dynamiques du désir, du manque et de l’angoisse.

Son phallus est reconnu comme un symbole de pouvoir, de virilité mais aussi et essentiellement comme un objet manquant, une absence fondamentale qui structure l’organisation du désir et des fantasmes. D’après lui, la toute-puissance du phallus amenant à une notion de perte dans le cadre de la castration joue un rôle important dans la formation du sujet. Il souligne l’importance non pas simplement en notifiant l’absence provoquée par la perte dont le sujet va chercher à combler le vide mais par l’organisation et la capacité de la mise en place du sujet pour structurer son désir et la partie inconsciente pour combler ce manque.

A l’inverse de Freud, qui perçoit la castration comme l’élément essentiel de la structuration du complexe d’Œdipe, Green confirme l’hypothèse que la perte du phallus est la phase qui permet de comprendre la structuration du désir qui provoque d’ailleurs un manque amenant à un sentiment d’angoisse chez le sujet. Il la considère donc comme une structure fondamentale de l’inconscient, un élément formateur qui fait partie intégrante de l’acceptation de séparation et de différenciation avec l’autre.

Le phallus prend une importance centrale dans la relation à l’objet, particulièrement à l’objet synonyme de la relation maternelle. Le phallus est perçu comme un médiateur entre le désir de la mère et l’enfant en représentant un pont symbolique qui permet de comprendre comment le sujet aborde et intègre la confrontation avec l’absence de l’objet primaire caractérisé par la mère ou de sa présence à travers la figure du père. Il conçoit la dimension inconsciente du phallus en tant qu’objet de dépendance et de perte. L’idée est qu’il n’est jamais satisfait, possédé mais toujours désiré et fantasmé.

L’angoisse de castration chez Green se distingue de celle de Freud par le fait qu’elle est moins liée à une peur spécifique de la perte du pénis ou de la virilité mais plus à une angoisse de vide existentielle. Cette angoisse est d’abord liée à la non-présence d’un objet phallique qui façonne et traverse l’individu tout au long de son développement. Il est associé à une absence d’éléments structurants et de signification qui traverse accompagne la formation du sujet.

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Conclusion

Chaque protagoniste élabore et conceptualise le phallus. Freud insiste sur l’énergie libidinale de son statut et de jalon narcissique, Klein sur son rôle dans les fantasmes destructeurs et réparateurs, Lacan sur son rôle de pivot « signifiant » structurant le désir, Jean Laplanche dans la construction du phallus pour répondre à « la demande de séduction » de la mère et André du rapport des fantasmes dépressifs et ses répercussions sur la représentation du phallus sur le sujet. L’opposition imaginaire et symbolique reste donc centrale. Ce travail montre que comprendre le phallus exige toujours de le situer au croisement du corps psychique, du langage humain et de son comportement. Je laisse au lecteur de savoir où il se situe à moins qu’il ne s’agisse que d’une bévue, celle de comprendre que toutes les notions du phallus évoquées se complètent, le changement de point de centralité engage simplement une perspective nouvelle d’un certain rapport à la réalité de la même façon que si vous observez un objet dans un angle différent parce que vous êtes dans une place qui s’éloigne de la place précédente ou de celle de l’Autre, la perception se modifie tel le contenu d’un verre que l’on observe de la partie vide ou pleine.

 

 

 

 

 

Bibliographie

(1)   Freud, 1905/1915, La sexualité infantile, Œuvres complètes, édition PUF, tome IV, p.67

(2) Freud, 1924, "Le trouble psychogène de la vision", Œuvres complètes, édition PUF, tome XV, p. 254
(3) Freud, 1923, "L'organisation génitale infantile", Trois essais sur la théorie sexuelle, édition PUF, tome XIII, p. 231  
(4) Freud, 1923, ibid., édition PU, p. 235
(5) Freud, Le Fétichisme », Oeuvres Complètes, PUF, 1985, tome XVIII, p. 167
(6) Klein, La psychanalyse des enfants, Paris, Puf, 1998, p. 110.
(7) Klein, Notes sur quelques mécanismes schizoïdes, Développement de la psychanalyse, Paris, PUF, 1991, p. 45
(8) Klein, L’envie et la gratitude, Paris, Gallimard, 1993, p. 8
(9) Klein, Deuil et relations d’objet, Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1968, p. 78
(10) Ibid., p. 80
(11) Klein, Notes sur quelques mécanismes schizoïdes, op. cit., p. 60
(12) Lacan, Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 688
(13) Ibid., p. 693
(14) Lacan, Le Séminaire, Livre IV, La relation d'objet (1956-1957), Paris, Seuil, 1994, p. 265
(15) Lacan, Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 819
(16) Lacan, Le Séminaire, Livre IV, La relation d'objet, Paris, Seuil, 1994, p. 287
(17) Lacan, Le Séminaire, Livre XX, Encore (1972-1973), Paris, Seuil, 1975, p. 71
(18) Ibid., p. 74
(19) Lacan, Le Séminaire, Livre XXIII, Le Sinthome (1975-1976), Paris, Seuil, 2005, p. 124
(20) Laplanche, 1980, Problématiques IV, L’inconscient et le corps, édition PUF, p. 112
(21) Green, 1965, Le complexe de castration, Minuit, p. 84