Le fantasme et phantasme, un symptôme de la position du sujet dans le monde

Qu’est-ce que le (ph)fantasme, au juste ? De quel phantasme parle-t-on ? Est-il toujours conflictuel ? Comment se   construit-il dans le développement de l’enfant ? Quelle part inconsciente s’y exprime ? Et surtout, faut-il le réaliser ? Ou vaut-il mieux le laisser dans l’espace de la pensée ? J’ai souvent observé avec le recul nécessaire, combien certaines personnes souffraient de fantasmes envahissants, qui devenaient oppressants et les amenaient à consulter ne comprenant pas et n’ayant pas accès à leur phantasme. D’autres, au contraire, choisissaient de les réaliser, assumant leur passage à l’acte. Mais le fantasme n’est pas anodin : il peut nourrir le désir, il peut aussi générer du symptôme, et même précipiter une souffrance.

Freud a montré que le phantasme est l’expression d’un conflit interne, une scène où le sujet met en jeu ses pulsions et ses interdits. Mais peut-on vraiment échapper à ce conflit ? Et n’est-ce pas justement dans l’élucidation du fantasme, plutôt que dans son accomplissement brut, que réside la possibilité d’un apaisement ?

Ce qui me semble essentiel, c’est d’aborder le ph(f)antasme sans jugement. Non pas pour le justifier ni pour le condamner, mais pour le comprendre dans son rôle structurant ou, parfois, même s’il devient destructeur. Consciemment et inconsciemment, peu importe, lorsqu’il s’impose avec une intensité incontrôlable, il prend la forme d’un symptôme. Le travail analytique vise alors à en déplier la logique, à permettre au sujet d’en reconnaître le sens, et peut-être de s’en libérer partiellement ou plutôt de pouvoir le vivre consciemment dans une réalité propice à y répondre, dans une volonté de ne point mettre en danger les autres et soi-même.

Aborder le fantasme, c’est entrer dans la zone la plus intime de la subjectivité humaine, là où se rencontrent le désir, la honte, le tabou et parfois la souffrance. C’est une nécessité si l’on veut comprendre ce qui nous habite réellement. C’est aussi accepter que, comme toute hypothèse en psychanalyse, il n’y a pas de vérité définitive. Il faut savoir se confronter et s’assoir dans le vide, inconfortable dans sa pratique mais si fécond dans le contenu du silence de ses réponses. Le processus psychanalytique, souhaitons-le, doit s’orienter sur ce que l’on nomme l’entretient ouvert, prêt à se transformer lorsque cela est nécessaire, il appartient au sujet et non à l’analyste, qui tout en restant l’orchestre, suit à l’envers du décor le rythme imposé par le musicien. La réponse psychanalytique s’applique à l’objet « a » de Lacan qui tourne autour d’un point fixé comportant plusieurs paramètres provoquant un mouvement où une certaine vérité se profile en dehors du langage, celui-ci n’étant utilisé simplement que pour introduire ce mouvement permettant de sortir de l’angoisse. Le (ph)fantasme reste insaisissable dans son essence, mouvant, changeant, toujours en excès par rapport à nos tentatives de le saisir.

Il nous confronte à l’irréductible de notre psychisme, et qu’il oblige à tenir ensemble deux exigences contraires, la rigueur du savoir et l’infini de l’inconscient.

Comment naît le fantasme ? À quelles lois invisibles le fantasme obéit-il au phantasme, et selon quelle trajectoire accompagne-t-il l’existence, depuis les balbutiements de l’enfance jusqu’aux crépuscules de la vieillesse ? Dans le développement psychosexuel du sujet, il surgit comme une mise en scène intérieure, à la fois fragile et tenace, qui condense désirs, peurs et interdits. Toujours il se tient à la lisière des grandes instances de l’appareil psychique, comme un médiateur et parfois un champ de bataille : il se nourrit des pulsions obscures du ça, affronte et combat les exigences du surmoi, se négocie dans les détours et les compromis du moi. Dans cette circulation, l’angoisse trouve tantôt refuge, tantôt exutoire, tantôt prétexte à se métamorphoser en images.

Mais le fantasme ne dit pas seulement quelque chose de la vie intérieure ; il peut être à la source de grande avancée pour certains sujets, il révèle, par son architecture secrète, la place que le sujet occupe ou croit occuper dans l’ordre symbolique. Il inscrit chacun dans le désir de l’Autre, ce désir qui nous précède et nous excède, et qui fait de nous des êtres parlants et désirants. Il peut aussi représenter le lieu où se noue l’intime et le social, l’inconscient et la loi, l’imaginaire et le symbolique. Il exprime le rapport du sujet à son corps, à sa filiation, à son appartenance au tissu collectif et clinique de son existence.

Pour approcher ces énigmes, il faudra convoquer quelques grandes figures de la psychanalyse. Chacun, de Freud à Lacan, de Klein à Winnicott, de Dolto à Jung, de Reich à Ferenczi et Laplanche, a projeté une lumière singulière sur cet objet insaisissable qu’est le (ph)fantasme. Freud en a fait la voie royale vers l’inconscient, un scénario où se condensent la scène primitive, les désirs œdipiens et la satisfaction hallucinatoire. Klein y a vu le lieu où se rejouent les positions paranoïde-schizoïde et dépressive, révélant l’ombre des objets internes. Winnicott l’a lié à l’aire transitionnelle, là où le jeu et l’imagination deviennent construction du réel. Lacan, enfin, en a fait la charnière entre le désir et le manque, la matrice du sujet dans son rapport à l’Autre et au langage. D’autres encore, tels Jung avec ses archétypes, Dolto par la traduction du langage du corps et de l’inconscient, Reich avec sa lecture énergétique du corps, Ferenczi avec sa sensibilité aux traumas précoces, ou Laplanche avec sa théorie de la séduction généralisée, ont enrichi cette constellation, chacun donnant au (ph)fantasme une profondeur nouvelle.

Ces quelques pages s’attachent à explorer le phantasme dans ses dimensions multiples : fonction structurante, où il permet au sujet de se constituer et de se maintenir dans une certaine cohérence ; fonction défensive, où il détourne ou masque l’excès de la pulsion et de l’angoisse ; fonction symptomatique enfin, où il trahit et exprime, sous des formes parfois déroutantes, le rapport du sujet au monde et à lui-même.

Nous interrogerons l’origine du fantasme dans la petite enfance, à travers les apports des principaux psychanalystes. Ensuite, nous examinerons son inscription dans les différentes étapes de la construction psychosexuelle du sujet, depuis les stades précoces jusqu’aux conflits œdipiens. Puis nous envisagerons son devenir à l’âge adulte et dans la vieillesse, lorsque le (ph)fantasme ne disparaît pas mais se transforme, accompagnant la métamorphose du désir et des pertes. Enfin, nous aborderons son articulation avec les grandes instances psychiques, ses liens avec la libido et l’angoisse, et sa traduction dans la clinique.

À travers ce voyage entre la théorie et la pratique, entre l’intime et le symbolique, il s’agira de comprendre comment le (ph)fantasme, loin de n’être qu’une illusion, constitue la position même du sujet dans le monde, ce point obscur où se décident son désir, son rapport à l’Autre, et son inscription dans son réel.

 

Chapitre I     Définition et origine du (f)phantasme

 

I -Les origines du fantasme et du phantasme ; avant et au-delà de la psychanalyse               

Bien avant que la psychanalyse ne donne au fantasme et au phantasme leur statut théorique, ces termes plongeaient déjà leurs racines dans une histoire longue, à la fois étymologique, philosophique, théologique et littéraire. Ils témoignent d’une expérience universelle de l’humanité : celle d’images intérieures qui hantent l’esprit, qui apparaissent et disparaissent, oscillant sans cesse entre vérité et illusion.                                                                     

a. Origine étymologique et philosophique antique

Le mot grec phantasma signifiait apparition, spectre, vision ou illusion. Il venait du verbe phainô, qui désigne l’action de faire apparaître, de briller, de se montrer. Dès l’origine, le terme portait donc une ambiguïté fondamentale : il désignait à la fois ce qui surgit à la conscience comme une image et ce qui reste instable, sans consistance, presque trompeur.

Chez Platon, l’image est immédiatement suspecte. Dans la République comme dans le Phèdre, il oppose la solidité du logos, le discours rationnel, aux séductions du phantasma, cette ombre qui détourne l’âme de la vérité. Dans l’allégorie de la caverne, le phantasma enferme l’homme dans le monde des illusions. L’image mentale apparaît comme un piège, un miroir du désir qui empêche l’accès à l’idée pure.

Aristote, de son côté, nuance ce rapport aux images intérieures. Dans le traité De Anima comme dans De la mémoire, il introduit la notion de phantasia, faculté intermédiaire entre la perception et la pensée. La phantasia permet de conserver et de reproduire des images après la perception. Elle intervient dans le rêve, la mémoire et l’imagination, mais n’a pas la stabilité du savoir rationnel. Chez Aristote, le phantasme est déjà une fonction psychique fragile, un lieu situé entre le corps et l’âme, entre le réel et la fiction, et qui préfigure de façon étonnante ce que Freud décrira plus tard comme la vie inconsciente de l’image.  

                                                            

b. Origines théologiques et médiévales

Avec la tradition chrétienne médiévale, le phantasme devient encore plus ambigu. Il est fréquemment associé au démoniaque et à l’illusion trompeuse. Les mystiques comme Hildegarde de Bingen ou Jean de la Croix décrivent les visions et apparitions intérieures comme des épreuves, parfois des séductions diaboliques. Le phantasma peut être soit le signe d’une révélation divine, soit la ruse d’un esprit malin.

Dans la théologie latine, le mot phantasma est souvent traduit comme spectre ou illusion. Les rêves, les extases, les visions ne sont jamais immédiatement prises pour vrais : ils doivent être soumis à un discernement spirituel. On interroge sans cesse leur provenance, divine ou démoniaque. Bien avant la psychanalyse, le fantasme était donc déjà un terrain de conflit : lieu d’une vérité intérieure possible, mais aussi menace d’une illusion dangereuse.

 

c. Origines littéraires et culturelles

La littérature a très tôt saisi la puissance dramatique du fantasme. Dès le Moyen Âge et la Renaissance, les romans de chevalerie, les épopées et les tragédies baroques regorgent de héros possédés par des visions, des illusions d’amour ou de grandeur qui les entraînent vers la gloire ou la perte. Shakespeare, Racine, Goethe ou encore Nerval font du fantasme un véritable moteur de l’action, tantôt sublime, tantôt destructeur.

Avec le romantisme, le phantasme change encore de valeur. Il n’est plus seulement illusion mais devient expression de la vérité intime du sujet. Le moi s’y révèle dans sa profondeur, dans son inachèvement, dans son manque. Les poètes romantiques en font une source de création, un foyer de rêve et de poésie, parfois une extase, parfois une brûlure qui mène à la folie. Le phantasme, désormais, est une réalité psychique assumée, une vérité intérieure qui annonce déjà la pensée freudienne.

 

d. Origines anthropologiques et mythologiques

Si l’on s’éloigne encore davantage de la philosophie et de la théologie, on découvre que les visions intérieures et les images mentales occupent une place centrale dans la plupart des traditions culturelles et religieuses. Dans les sociétés chamaniques, par exemple, les visions obtenues dans des états modifiés de conscience servent à dialoguer avec les esprits, à guérir, à prédire. Les mythes, de leur côté, apparaissent comme des fantasmes collectifs qui condensent les désirs et les angoisses d’un peuple, donnant forme à des images partagées.

Jung reprendra cette dimension collective en parlant d’archétypes : images universelles, partagées par l’inconscient collectif, qui traversent les cultures et organisent les représentations humaines. Ainsi, bien avant la psychanalyse, le phantasme était compris comme médiateur entre le visible et l’invisible, entre l’individuel et le collectif.

 

e. Conclusion ; le phantasme avant Freud

On peut donc dire que le phantasme, avant même de devenir concept psychanalytique, est une expérience humaine fondamentale. Il est cette capacité à penser ce qu’on ne voit pas, à désirer ce qu’on n’a pas, à se projeter dans une scène intérieure qui hante et structure la vie psychique. Toujours il porte une ambivalence : tantôt vérité, tantôt illusion, tantôt source de création, tantôt menace de folie.

La psychanalyse n’a pas inventé le phantasme, elle lui a donné un langage et une rigueur théorique. Mais les philosophies antiques, les théologies médiévales, les œuvres littéraires et les rites anthropologiques avaient déjà perçu cette puissance obscure : le phantasme est le cœur invisible du sujet, l’ombilic des rêves et des visions, la matrice secrète de nos désirs et de nos peurs.

 

2- Distinction entre fantasme et phantasme  

Quand on parle de phantasme, on évoque au niveau psychique la partie inconsciente profonde, proche du rêve et du refoulé originaire alors que fantasme fait référence au préconscient ou conscient secondaire, structurant le discours du sujet. Le phantasme a pour fonction de mettre en scène les pulsions fondamentales et les désirs primaires. Le fantasme traduit, de son côté, la forme symbolique des désirs donnant une cohérence au moi et au récit du sujet. Le phantasme se convertit naturellement à travers un scénario imaginaire inconscient, des scènes dîtes primitives, au contact de la castration et de la séduction, tandis que le fantasme se construit de manière subjective, parfois consciente, articulée au langage et à l’histoire du sujet. Sur le plan psychanalytique et clinique, le phantasme révèle les structures pulsionnelles et les conflits fondamentaux, fondateur du désir, postérieurement le fantasme révèle les scénarios personnels et les identifications. Le phantasme dans sa temporalité est originel, archaïque et répétitif. Le fantasme est actuel, remanié, narratif. Le phantasme représente une réalité psychique inconsciente alors que le fantasme fait écho à une réalité psychique subjective c’est-à-dire ce que le sujet se raconte de lui-même, par la mise en récit mais aussi par une figuration actuelle d’une scène dans la parole et le symptôme.

Quand on parle de fantasme on se réfère à la partie consciente élaborée dans une représentation psychique, il s’agit de ces scénarios, de ces représentations intérieures que je peux reconnaître et souvent nommer. Ce sont les petites histoires que je me raconte à moi-même, parfois à mi-voix, parfois comme un film intérieur qui m’accompagne. Freud évoquait les « romans familiaux » ou les « rêveries diurnes » qui permettent au sujet de supporter le réel en le remodelant à sa convenance. Dans ces constructions conscientes, je reste en quelque sorte metteur en scène : je choisis les personnages, les décors, les péripéties. Bien sûr, cela ne veut pas dire que j’en suis totalement maître, mais j’ai au moins l’illusion de contrôler ce qui s’y déroule. Ces fantasmes sont accessibles à ma conscience, je peux les revivre, les amplifier, ou même les transformer à volonté. Ils me servent à compenser un manque, à nourrir mon désir, à colorer mes journées d’une dose d’imaginaire qui me protège du trop brutal contact avec la réalité.

Le fantasme inconscient que l’on pourrait écrire phantasme, lui, se situe plutôt entre inconscient et réalité, il relève d’un tout autre ordre. Il n’est pas un récit que je choisis, il est une structure qui m’habite. Là, ce n’est plus moi qui invente un scénario, c’est le scénario qui m’organise. Lacan en a donné une définition essentielle : le fantasme inconscient est ce qui articule la position du sujet par rapport au désir de l’Autre. Autrement dit, c’est la réponse, singulière et intime, que chacun trouve pour supporter la question angoissante : qu’est-ce que l’Autre veut de moi ? Pourquoi suis-je désiré ou rejeté ? À travers le fantasme inconscient, c’est mon rapport au désir qui se joue, souvent de façon fixe, répétitive, insistante.

Je ne peux pas le dire directement, je ne peux pas l’énoncer comme je le ferais avec un fantasme conscient. Le fantasme inconscient ne se livre que par fragments, dans les rêves, dans les lapsus, dans les symptômes, dans les échecs répétés de ma vie relationnelle. Il est comme une trame invisible qui conditionne mes choix, mes attirances, mes comportements, sans que je puisse vraiment l’apercevoir. Alors que le fantasme conscient ressemble à une surface visible, le fantasme inconscient est la profondeur qui soutient cette surface, le moteur caché qui pousse les images conscientes à se répéter.

La différence entre les deux pourrait se résumer ainsi : le fantasme conscient me donne une représentation, un refuge imaginaire, un jeu auquel je participe en spectateur et en auteur. Le fantasme inconscient, en revanche, me constitue. Il est comme une scène primitive qui ne cesse de rejouer en arrière-plan, indépendamment de ce que j’aimerais croire ou imaginer. Là où le conscient me permet de me raconter une histoire, l’inconscient m’impose une logique de désir.

Pour moi, il est essentiel de reconnaître cette distinction, car elle dit quelque chose de l’écart entre ce que je pense de moi et ce qui, silencieusement, me détermine. Si je reste au niveau des fantasmes conscients, je peux avoir l’impression de savoir ce que je veux, d’identifier mes désirs. Mais l’analyse me conduit toujours ailleurs : à découvrir que derrière ces images rassurantes ou excitantes se cache une autre scène, bien plus dérangeante, qui parle de mes origines, de ma place dans le désir parental, de mes rapports au manque et à la castration.

En somme, le fantasme conscient est une construction de surface, parfois belle, parfois naïve, parfois utile. Le fantasme inconscient est un noyau de vérité subjective, que je n’ai pas choisi mais qui m’a choisi, et qui me travaille à chaque instant mais l’un et l’autre communique intrinsèquement, un vase communiquant qui a une conséquence sur les symptômes de tout sujet.

 

3- Phantasme et fantasme, que choisir ?

Quand je lis Freud, je vois qu’il n’emploie pas nos mots français mais le terme allemand Phantasie. Dans sa langue, il ne fait pas la distinction que nous faisons aujourd’hui. Pour lui, la Phantasie recouvre à la fois la rêverie consciente, ces histoires intérieures qui consolent le sujet, et le noyau inconscient qui organise le désir. Ce double sens a été décisif : Freud a montré que derrière la fantaisie consciente se cache un scénario beaucoup plus profond, souvent lié à la scène primitive, à la séduction, à la castration. Déjà là, le terme porte une ambiguïté qui deviendra féconde dans toutes les traductions.

Pour n’évoquer que certains auteurs, parmi ceux dont je fais référence un peu plus bas, le mot prend une coloration particulière chez Mélanie Klein. Elle ne s’attarde pas tant sur la distinction des graphies que sur le fait que le fantasme inconscient est présent dès la naissance. Pour elle, ce n’est pas un supplément d’imagination mais une véritable activité psychique de base : le nourrisson projette ses pulsions, bonnes ou mauvaises, sur les objets partiels, le sein maternel, par exemple. Quand je lis Klein, j’ai le sentiment que le phantasme n’est pas une construction tardive mais une respiration première de la vie psychique. Le mot phantasme répond aux besoins de Klein de répondre à sa demande interne, par la réponse à ses concepts et la création en séparant phantasme et fantasme. Il est certain que l’observation de ses concepts décrive l’origine de la construction mais le malaise peut se traduire lors de la traduction adulte de l’observation d’un nourrisson. Un petit bébé est comme un grand adulte qui ne sait pas, si l’on s’appuie sur descriptions de Klein, nous savons tous que la terre est ronde et non plate mais l’on peut, pourquoi pas, continuer à croire qu’elle est plate, quelque part une illusion d’une certaine perspective qui peut être intéressante à approfondir. L’existence des positions décrites et des mécanismes de défense explicatif, au contraire, sont d’une richesse extraordinaire mais la traduction, comme le rapport observable dans sa traduction thérapeutique peut paraître dangereux dans sa vision fantasmatique. Il est important de souligner que j’ai pu constater un pourcentage conséquent entre l’écart de l’écriture originale, dans la langue maternelle et les traductions qui amène souvent à perdre une certaine genèse primordiale dans la compréhension de ce qu’a voulu dire l’auteur. La vulgarisation et la banalisation de l’enseignement provoque, malgré et simultanément une certaine transformation dans la transmission, l’idée originelle perd son essence.

Lacan, lui, choisit délibérément d’écrire phantasme dans ses premiers écrits ou séminaires. Je comprends ce choix comme une manière de maintenir la gravité du concept, de rappeler qu’il s’agit d’une structure inconsciente et non d’une simple rêverie. Quand il formalise le phantasme par la formule $a, il montre que nous ne sommes pas devant un décor imaginaire mais face à un dispositif structural : le sujet barré en rapport avec l’objet cause du désir. Avec Lacan, écrire phantasme devient une façon de ne pas le confondre avec la dimension plus légère du fantasme conscient. Personnellement, je trouve que ce choix orthographique garde ouverte la dimension d’opacité et de radicalité du concept.

Jean Laplanche, pour sa part, emploie plutôt fantasme, sans ph. Mais il le définit à partir de sa théorie de la séduction généralisée : le fantasme est une tentative de traduction des messages énigmatiques venus de l’Autre, surtout des parents. Ici, le mot fantasme garde son ancrage inconscient, mais Laplanche n’a pas besoin de l’éloigner par une graphie savante : il l’ouvre au champ de l’interprétation, au travail infini de traduction et de retraduction. Quand je lis Laplanche, je sens que fantasme est le lieu même de la rencontre entre ce que l’Autre a déposé en moi et ce que j’essaie, maladroitement, de mettre en scène pour donner du sens à ma propre excitation. Pour Laplanche, le fantasme est simplement la traduction opaque du phantasme.

Ainsi, selon les auteurs, l’usage de fantasme ou de phantasme a pris des nuances. Freud posait l’ambivalence originelle. Klein en faisait le moteur archaïque de toute vie psychique. Lacan, avec le mot phantasme, insistait sur la structure inconsciente, radicale, qui soutient le désir. Laplanche, en gardant fantasme, mettait l’accent sur la traduction, sur le travail incessant du sujet face à l’énigme du désir de l’Autre.

Au fond, il va sans doute que je ne crois pas que le choix entre fantasme et phantasme soit une simple question d’orthographe. Il révèle bien sûr une sensibilité théorique. Dire fantasme, c’est se situer du côté de l’expérience vécue, du quotidien, du langage courant. Dire phantasme, c’est rappeler la dimension théorique, structurale, inconsciente. Mais, nous le savons bien, LES DEUX, FINALEMENT, SE REJOIGNENT : ils désignent ce théâtre intérieur où se joue le rapport le plus intime entre le sujet, son désir et l’Autre. L’un mène à l’autre. Le fantasme mène au phantasme dans l’articulation de sa compréhension et de sa construction originelle.

Le mot fantasme vient du grec phantasma, qui signifie apparition, image. En français, deux écritures ont longtemps cohabité : phantasme et fantasme. Elles désignent la même réalité psychique, mais avec des nuances d’usage et de tonalité selon les auteurs ou la matière abordée.

Phantasme, avec ph, est la forme savante. On la retrouve dans les premiers textes psychanalytiques traduits du Freud allemand. Elle garde la trace de la racine grecque et conserve une coloration plus théorique, presque technique. Dire phantasme, c’était insister sur la structure inconsciente qui organise le désir, sur ce qui se joue en arrière-plan de la vie psychique.

Fantasme, avec f, s’est imposé au fil du temps dans l’usage courant, mais aussi dans la littérature psychanalytique. Ce mot sonne plus familier, plus proche de ce que chacun peut reconnaître dans ses rêveries, ses images intérieures, ses scénarios plus ou moins conscients.

Ces deux écritures ne désignent pas deux réalités différentes, mais deux accents portés sur la même notion. Le phantasme renvoie davantage à l’architecture inconsciente, à la logique structurale qui soutient le désir. Le fantasme, dans son usage courant, renvoie aussi bien à cette logique profonde qu’aux représentations conscientes et accessibles qui circulent dans l’imaginaire.

Dans ma propre lecture, je remarque que lorsque j’utilise le mot phantasme, j’ai le sentiment de m’orienter du côté de la théorie et de la clinique psychanalytique, là où l’on scrute les structures inconscientes. Lorsque j’écris fantasme, je sens que je me rapproche de l’expérience vécue, de la dimension plus quotidienne et accessible des images que l’on peut reconnaître en soi.

Alors, lequel choisir ? Probablement aucun de façon exclusive. Car les deux se rejoignent dans une même réalité : il y a le fantasme conscient, qui se raconte et se met en scène, et le phantasme inconscient, qui structure et oriente le désir sans se donner à voir directement. On peut dire qu’ils se rencontrent comme la surface et la profondeur, comme la fiction racontée et la vérité subjective qui l’anime. L’un d’ailleurs se confond souvent dans l’autre, et ph n’est jamais éloigné de f, ils sont indissociables.

Lacan écrit d’ailleurs plutôt fantasme que phantasme. Quand il fait référence à Freud, il utilise le « ph » ou quand il fait une référence étymologique, étant adepte du langage et des racines dans l’histoire des mots. D’ailleurs la traduction française depuis Laplanche, Pontalis, Dolto, privilégie le « f » pour désigner le désir inconscient. « Fantasme » avec un « f » est devenu un concept psychanalytique stabilisé opérant dans la théorie, dans la sphère psychanalytique.

 

 

4- Les phantasmes originaires et la scène primitive chez Freud

Chez Freud, le phantasme prend racine dès les premiers instants de la vie psychique. Dans les Esquisses pour une psychologie scientifique (1895), il décrit ce qu’il appelle le mécanisme de satisfaction hallucinatoire : lorsque le nourrisson a déjà goûté à la plénitude de la tétée, la faim qui revient le pousse à recréer en pensée l’image du sein nourricier. Cette hallucination ne nourrit évidemment pas le corps, mais elle apaise quelque chose du côté du psychisme. Elle marque la première tentative de répondre au manque par la représentation, ouvrant ainsi la voie à la vie fantasmatique. Déjà, Freud met en évidence ce mouvement : le phantasme naît de l’insatisfaction pulsionnelle et cherche à combler l’écart entre le besoin réel et une plénitude imaginée.

Cependant, Freud ne s’arrête pas à cette première scène hallucinatoire. Très vite, il met en lumière l’existence de véritables scénarios inconscients, qui ne relèvent pas simplement d’expériences personnelles mais de structures fondamentales de l’inconscient. Dans ses travaux ultérieurs, il les nomme les phantasmes originaires : la scène primitive, la séduction et la castration. Ces trois figures ne sont pas de simples inventions de l’enfant ; elles traversent l’humanité, comme des matrices psychiques partagées. Chacune d’elles vient donner une forme au vécu infantile : la scène primitive, qui imagine l’enfant témoin de l’acte sexuel des parents, traduit la curiosité œdipienne et le besoin de comprendre l’origine de la vie ; le phantasme de séduction condense à la fois le trouble de l’excitation et le poids de l’interdit ; enfin, le phantasme de castration met en ordre la différence des sexes et le rapport au manque.

Ainsi, le phantasme dépasse rapidement le simple apaisement hallucinatoire. Il devient véritablement une mise en scène, une dramaturgie intérieure qui soutient le désir et structure la subjectivité. Freud montre alors que l’enfant, loin de rester passif face à la frustration, invente. Il fabrique des récits inconscients, construit un monde imaginaire où pulsion et réalité trouvent une forme de compromis. Le phantasme apparaît donc comme ce lieu essentiel où le psychisme, confronté à la perte et au manque, trouve malgré tous les moyens de se constituer et de persister.

 

5- Les phantasmes archaïques, positions schizo-paranoïde et dépressive chez Mélanie Klein

Mélanie Klein pousse beaucoup plus loin l’intuition freudienne. Là où Freud voyait dans le phantasme une réponse seconde au manque, elle considère qu’il constitue dès le départ la matière même de la vie psychique. Dans son travail clinique auprès de très jeunes enfants, elle observe que, dès les premiers mois, le nourrisson ne se contente pas de vivre la faim ou la satiété : il met déjà en scène ses pulsions dans de véritables scénarios inconscients. Le sein maternel, premier objet de relation, est aussitôt partagé en deux figures opposées : le « bon sein », qui nourrit et apaise, et le « mauvais sein », qui frustre, agresse et persécute. Dans l’univers psychique du bébé, il ne s’agit pas seulement de boire ou d’avoir faim : il s’agit de détruire l’objet par des pulsions cannibaliques, puis de le réparer sous l’effet des pulsions d’amour.

Ces scénarios sont archaïques, intenses, souvent violents. Klein les décrit à travers deux positions fondamentales. D’abord la position paranoïde-schizoïde, où l’enfant expulse au-dehors ses pulsions destructrices et vit dans l’angoisse d’être attaqué à son tour. Puis vient la position dépressive, moment plus complexe où il comprend que l’objet aimé et l’objet haï sont un seul et même, et qu’il risque de le perdre ou de le détruire par sa propre violence. Dans chacune de ces positions, le phantasme est à l’œuvre : il dramatise les angoisses, invente des histoires de persécution, de réparation, de perte et de retrouvailles.

Ainsi, pour Klein, le phantasme n’apparaît pas dans le vide laissé par l’absence d’objet, comme chez Freud. Il se déploie immédiatement dans la relation à l’objet interne, investi de pulsions de vie et de mort. Dès l’origine, l’enfant vit dans un monde peuplé de représentations inconscientes, où les objets sont bons ou mauvais, nourriciers ou persécuteurs, en fonction de la dynamique pulsionnelle qui l’anime. Le phantasme, dans cette perspective, est bien plus qu’une réponse au manque : il est le tissu même de la vie psychique.

 

6- Lacan et le fantasme fondamental et le grand Autre chez Lacan

Lacan écrit plutôt fantasme que phantasme. Quant il fait référence à Freud, il utilise le « ph » ou quand il fait une référence étymologique, étant adepte du langage et des racines dans l’histoire des mots. D’ailleurs la traduction française en psychanalyse privilégie le « f » pour désigner le désir inconscient structurant le désir. Lacan évoquera le fantasme fondamental. 

Chez Lacan, le fantasme ne peut pas être réduit à une simple histoire que le sujet se raconterait. Ce n’est ni un petit scénario psychique ni une fable intime. Le fantasme est structure, et c’est à travers cette structure que le sujet prend forme, qu’il trouve une place dans l’ordre symbolique tout en se protégeant de la béance qui le traverse.

Pour Lacan, il n’y a pas de sujet plein ou stable : le sujet de l’inconscient est un sujet divisé, marqué d’un manque fondamental. Ce manque n’est pas accidentel, il est constitutif : il fonde le désir. Or, le désir n’est jamais orienté vers un objet réel qu’on pourrait saisir ; il se tend vers un objet perdu, toujours hors d’atteinte, que Lacan nomme l’objet petit a , objet cause du désir.

C’est ici que le fantasme joue un rôle décisif. Il se formule dans la célèbre notation $◊a : la rencontre entre le sujet barré et l’objet a. Cette écriture ne décrit pas une équation mais une structure. Elle indique que le phantasme n’est pas fabriqué par le sujet : il est ce par quoi le sujet se constitue. Le fantasme agit comme un écran, une mise en scène qui permet au sujet de donner forme à son manque et de soutenir son désir sans être englouti par lui.

Mais Lacan insiste : ce cadre reste une illusion. Le fantasme n’est pas la vérité du désir, il en est le masque. Le sujet croit atteindre le réel de sa jouissance, alors qu’il ne fait que contourner l’impossible. C’est pourquoi l’analyse n’a pas pour but de décoder le fantasme comme un récit caché, mais de le traverser. Traverser le phantasme, c’est faire vaciller cette construction, cesser d’y croire, accepter le manque sans le combler par une fiction.

Le cas du petit Hans illustre bien ce mécanisme. L’enfant n’a pas peur des chevaux en eux-mêmes : le cheval devient l’écran fantasmatique qui le protège de l’angoisse de castration et de la jouissance de l’Autre qu’il pressent dans la scène familiale. Le fantasme organise cette peur, lui donne une forme supportable et maintient à distance une jouissance insoutenable.

Ainsi, chez Lacan, le fantasme constitue la charpente invisible du désir. C’est un scénario qui met en scène la perte et le manque, un dispositif qui permet au sujet d’exister tout en donnant consistance à son rapport au monde. L’objet petit a, insaisissable et jamais possédé, soutient cette dynamique. Il est ce reste qui relance sans cesse le désir, moteur de la vie psychique et de la rencontre avec l’autre.

Le fantasme, dès lors, est à la fois point d’appui et point de fuite. Il maintient le sujet debout, mais au prix d’une illusion. Dans l’expérience analytique, le travail ne consiste pas simplement à en dévoiler le contenu, mais à en éprouver les limites : se confronter au vide qu’il recouvre, accepter l’impossible de la jouissance et découvrir, au-delà du scénario, une autre manière de se tenir dans le désir.

 

7- La fonction compensatrice du phantasme et l’inconscient collectif selon Jung

Chez Carl Gustav Jung, le phantasme ne se réduit pas à un masque destiné à voiler un manque, ni à une fiction par laquelle le sujet tente de s’arrimer à son désir. Il est d’une toute autre nature : il est création, surgissement, manifestation vivante de l’inconscient. Là où Freud et Lacan situent le phantasme dans la logique du refoulement, de la scène œdipienne et de l’économie du désir, Jung en fait la langue première de l’âme, le langage spontané par lequel l’inconscient se dit, non pas pour tromper, mais pour guider.

Pour Jung, l’inconscient ne se limite pas au refoulé personnel. Il est traversé d’images et de structures immémoriales qui appartiennent à l’humanité entière : les archétypes. C’est en cela qu’il parle d’« inconscient collectif ». Le phantasme individuel, dans cette perspective, n’est jamais purement singulier. Il porte la trace de mythes, de récits universels, de motifs symboliques qui se répètent dans toutes les cultures. Ce qui surgit dans le fantasme est donc à la fois intime et universel, singulier et collectif, unique et archaïque.

Ainsi, là où Lacan formule le ph(f)antasme comme structure ($◊a), Jung le pense comme image. Et cette image n’est pas une simple décoration de l’inconscient, mais une voie de transformation. Chaque phantasme, dans son expression concrète, qu’il s’agisse d’un rêve, d’une vision, d’une scène intérieure, est une scène dramatique où s’affrontent des forces psychiques. Il est une alchimie intérieure où se rencontrent l’ombre et la lumière, l’animus et l’anima, le moi et le Soi.

Jung insiste sur la valeur autonome du phantasme : il ne dépend pas de la volonté du sujet, il surgit, il s’impose, il insiste. Cette autonomie témoigne de ce que l’inconscient n’est pas seulement réservoir de pulsions refoulées, mais principe créatif, source de renouvellement. Le phantasme est alors à accueillir comme une révélation, comme un message symbolique. Il s’agit moins de l’interpréter de l’extérieur que de l’habiter de l’intérieur.

Un exemple permet de saisir cette dimension : un sujet en thérapie raconte une vision obsédante d’une maison en ruines dans laquelle pousse un arbre immense. Chez Freud, une telle image aurait pu être réduite à un souvenir de l’enfance, lié à une scène primitive ou à un désir sexuel refoulé. Chez Lacan, elle aurait pu être lue comme mise en scène de la castration, une figure du manque. Pour Jung, au contraire, elle est symbole de vie renaissant au cœur de la destruction, archétype universel de la régénération. La maison en ruines, c’est le moi ancien qui s’effondre, et l’arbre, c’est la promesse du Soi, c’est-à-dire d’une totalité psychique qui cherche à naître.

De là découle la pratique jungienne de l’imagination active, qui consiste à dialoguer avec les figures du phantasme, à leur donner voix et corps, à entrer en relation avec elles comme avec des personnages vivants. Le phantasme devient ainsi théâtre intérieur : non pas une fable à déconstruire, mais un drame à jouer, un récit à vivre, une vérité à traverser. Là où l’analyse freudienne ou lacanienne tend à dissiper l’illusion du phantasme, l’approche jungienne invite à le prolonger, à le déployer, à s’y engager activement pour en extraire une vérité existentielle.

Le phantasme jungien est toujours double : il est expression d’une souffrance, mais aussi appel vers une transformation. Il est symptôme et guérison, obstacle et voie. C’est pourquoi Jung voyait dans les grands mythes, d’Œdipe, de Prométhée, du Christ, ou encore dans les images alchimiques, des matrices de phantasmes : chaque sujet rejoue, à travers ses propres images intérieures, ces drames universels qui mettent en scène la tension entre perte et régénération, chaos et ordre, mort et renaissance.

Ainsi, pour Jung, le phantasme n’est pas une ruse de l’inconscient, mais une émergence de sens. Il est sacré en ce qu’il relie le moi à des forces plus vastes que lui, en ce qu’il inscrit chaque existence dans une trame collective qui la dépasse. Le phantasme jungien ouvre sur le Soi, cette totalité qui englobe le moi conscient, l’inconscient personnel et l’inconscient collectif.

Là réside la puissance de sa conception : le phantasme n’est pas un voile qui cache, mais une image qui révèle. Il n’est pas masque, mais miroir ; non pas illusion, mais vérité symbolique. Là où Lacan invite à traverser le phantasme pour atteindre le manque, Jung nous invite à le contempler pour entendre le message de l’inconscient. Là où le phantasme lacanien est structure de défense, le phantasme jungien est chemin de connaissance.

En définitive, le phantasme, chez Jung, est l’expression vivante d’une psyché qui cherche l’unité dans la traversée de ses opposés. Il est l’espace où se joue le drame éternel de l’humanité en chaque individu, l’espace où l’âme, dans ses images, tente d’atteindre sa plénitude.

 

8- La cuirasse caractérielle et l’énergie libidinale chez Wilhelm Reich

Selon Reich, le fantasme n’est pas d’abord une image ou une histoire intérieure, mais l’expression d’un corps qui a appris à retenir son élan vital. Ce que nous appelons fantasme, Comme Freud, Reich utilise le mot allemand Phantasie, issu du grec phantasma qui signifie « apparition ». C’est la graphie usuelle en allemand pour désigner l’imagination, la représentation fantasmatique, le désir inconscient. La traduction française utilisera le « f ».

C’est la traduction psychique d’une énergie sexuelle empêchée de circuler. Là où Freud verrait une scène inconsciente et où Lacan poserait une structure du désir, Reich me rappelle que mon corps, lui, parle avant tout : il parle dans mes tensions, dans mes respirations coupées, dans mes postures figées.

Les cuirasses caractérielles sont pour lui la clé. Ces armures musculaires et caractérielles se construisent pour me protéger de l’angoisse et du conflit pulsionnel, mais elles me coupent en même temps de ma vitalité. Le fantasme surgit alors comme un substitut : une mise en scène imaginaire qui compense ce que mon corps ne parvient pas à vivre. Si je rêve de relations impossibles, si je me perds dans des scénarios où le plaisir reste toujours hors de portée, c’est le signe qu’une part de mon énergie est bloquée, qu’elle se heurte à la rigidité de mes cuirasses.

Dans cette perspective, le fantasme n’est pas un voile symbolique ni un détour de l’inconscient : il est un signal tangible. Il me dit où ça ne circule pas, où je retiens, où mon corps refuse de lâcher. Il n’est pas seulement à interpréter, mais à traverser, en allant jusqu’au niveau de la respiration, du mouvement et de la détente musculaire. Pour Reich, l’analyste ne peut pas se contenter d’écouter mes mots, il doit aussi voir, entendre et accompagner ce que mon corps raconte en silence.

La santé psychique se mesure alors à la capacité de laisser passer la pulsation orgastique, cette onde de tension et de relâchement qui traverse le corps et qui est, pour Reich, la véritable preuve de la vie. Le fantasme révèle les lieux où cette pulsation est brisée, où le flux vital s’arrête. Il est l’ombre du désir qui n’a pas trouvé son passage.

Ainsi, dans la pensée de Reich, le fantasme devient le miroir inversé de la vitalité : là où il surgit, il signale un blocage. Le comprendre, ce n’est pas seulement en dégager un sens psychique, c’est réapprendre à bouger, à respirer, à vibrer. Le fantasme ne s’analyse pas seulement, il se dissout quand l’énergie peut de nouveau circuler. Il me rappelle, avec une force directe, que mon désir n’est pas une abstraction mais une vibration qui demande à vivre pleinement dans la chair.

 

9- Le fantasme et le langage du corps chez Françoise Dolto

Dolto écrit toujours avec un f le mot fantasme. Ce choix n’est pas fortuit : il marque sa volonté de rendre le concept vivant, incarné, symbolique, loin de la froideur structuraliste du phantasme lacanien ou du Phantasie freudien. Pour Dolto, le fantasme retrouve sa dimension la plus originelle : il est d’abord une parole du corps, un savoir intime du sujet sur lui-même avant même que la conscience puisse le formuler. Ce qui m’impressionne dans sa pensée, c’est cette idée que le corps de l’enfant parle avant les mots. Chaque geste, chaque posture, chaque symptôme devient porteur de sens. Le fantasme n’est pas un simple jeu de l’imaginaire, il est le message que le sujet s’adresse à lui-même et aux autres pour tenter de donner forme à un réel trop complexe ou trop douloureux.

Quand je pense au fantasme chez l’enfant, je le vois comme une scène où se déploient ses conflits, ses désirs et ses manques, mais dans un langage symbolique qui passe par le corps et l’image. Fantasmer devient un acte de subjectivation : ce n’est pas fuir le réel, c’est essayer de le penser, de l’organiser, de s’en approprier une part. À travers ces scènes imaginaires, l’enfant commence à comprendre ce que lui dit le désir de l’Autre, à appréhender la séparation, la perte ou l’angoisse, et à structurer peu à peu son monde intérieur.

Dolto insiste sur l’image inconsciente du corps. Pour moi, c’est fascinant : ce corps imaginaire n’est ni neurologique ni socialement construit, c’est un espace symbolique où s’inscrivent affects, désirs et fantasmes. Le fantasme trace sur ce corps des lignes de désir, nomme les manques, habille les vides et symbolise les zones de tension ou de plaisir. Quand un enfant imagine un serpent entrant dans sa bouche, ce n’est pas seulement une peur : c’est une angoisse liée à ce qui peut ou ne peut pas se dire. Le fantasme devient alors la métaphore vivante d’un vécu corporel et l’expression symbolique d’une expérience subjective.

Dans la clinique de Dolto, le fantasme de l’enfant est toujours accueilli et respecté. Il n’est jamais faux ; il reflète au mieux l’état psychique du moment. L’écoute, la mise en mots, permettent à l’enfant de se réapproprier son vécu, de retrouver un équilibre et de transformer le chaos en sens. Pour Dolto, chaque symptôme est un langage, chaque fantasme une tentative de symbolisation. Les hallucinations, les troubles psychosomatiques ou les comportements difficiles sont autant de moyens pour l’enfant d’exprimer ce qu’il ne peut dire autrement.

Chez l’adulte, cette vision reste vivante. Le fantasme continue d’être une parole inconsciente, un appel à la reconnaissance symbolique, même lorsqu’il se rigidifie ou devient obsessionnel. Dolto renouvelle la tradition freudienne : le fantasme n’est pas seulement le fruit du refoulement, il est un geste créatif du sujet, une manière de se dire, de se relier à l’autre, de trouver sa place dans le monde.

Pour moi, le fantasme dans l’univers de Dolto est avant tout un geste poétique de subjectivation. Il est la parole intime que le corps et l’esprit produisent pour se faire entendre, pour se reconnaître et pour créer du lien. Il incarne l’essence de ce que signifie devenir sujet, et c’est cette dimension vivante, incarnée et créative qui le rend si profondément humain et touchant.

 

10- La confusion des langues, le trauma et le clivage du phantasme chez Sándor Ferenczi

Ferenczi, comme Freud, écrit en allemand. On utilisera donc le « ph » même si la traduction française indique souvent un f. Avec Ferenczi, le phantasme change radicalement de visage. Il ne se limite plus à une fiction imaginaire du désir comme chez Freud, mais devient la trace vivante d’un trauma, un palimpseste où l’événement insoutenable laisse son empreinte dans le psychisme. Ferenczi, proche de Freud puis en marge de son enseignement, a été l’un des premiers à explorer la clinique du traumatisme, la dissociation et le langage non-verbal de l’inconscient.

Là où Freud voyait surtout une construction à partir du refoulé, Ferenczi entend dans le phantasme l’écho déformé d’une expérience vécue que le sujet n’a pas pu symboliser. Le phantasme devient alors une langue blessée, le cri oblique d’un moi sidéré par la violence d’un réel trop brutal. Il ne s’agit pas seulement d’un décor imaginaire, mais d’une tentative de survie psychique face à ce qui aurait pu détruire l’enfant.

Pour Ferenczi, le traumatisme ne réside pas uniquement dans l’événement choquant traduit dans l’abus, l’abandon, la trahison mais dans l’impossibilité de l’intégrer. Le fantasme surgit dans cet entre-deux : entre ce qui a eu lieu et ce qui n’a jamais pu être pensé. Il reste actif d’un vécu qui n’a trouvé ni mots ni témoin. Ainsi, lorsqu’un enfant abusé imagine qu’il a « voulu » ou « provoqué » ce qui lui est arrivé, il ne s’agit pas seulement de culpabilité : c’est une stratégie pour préserver une cohérence, même tragique, face à l’éclatement intérieur. Le phantasme devient mensonge protecteur et vérité du désastre à la fois.

Ferenczi va plus loin en montrant que le phantasme peut être emprunté à l’agresseur lui-même. Sa notion de « confusion des langues » illustre ce processus : exposé aux gestes et aux affects de l’adulte, l’enfant est contraint de les traduire dans son propre registre tendre. L’imaginaire de l’enfant porte alors la marque de l’innommable, mais sous une forme travestie qui lui permet de maintenir le lien.

Pourtant, Ferenczi ne reste pas prisonnier de cette vision tragique. Il découvre que le fantasme peut avoir une fonction réparatrice. Dans les rêveries régressives, les jeux imaginaires ou les pseudo-délires de ses patients, il voit des tentatives de réécriture : le moi blessé invente des histoires de revanche, de réparation, ou imagine la présence d’un parent bienveillant. Ce ne sont pas de simples résistances, mais des gestes créatifs de résilience.

Sa posture analytique, centrée sur la « tendresse » et le « tact », est radicale. L’analyste n’est pas celui qui dévoile brutalement la vérité, mais celui qui accompagne, témoin bienveillant du monde intérieur du patient. Le fantasme devient alors passage, espace de contact entre l’intime du sujet et la réalité extérieure. Il est symptôme, certes, mais aussi tentative de soin ; cicatrice, mais aussi élan vers la vie.

Ainsi, pour Ferenczi, le phantasme est l’envers du trauma, le miroir fragile où le sujet blessé cherche à se retrouver. Même délirant, il reste une manière d’inscrire dans le langage ce que le silence avait recouvert. Le phantasme est alors le poème douloureux d’un moi survivant, la preuve que, malgré tout, quelque chose continue à inventer du sens. L’analyste devient compagnon de route, capable de tenir la main du phantasme comme on tiendrait celle d’un enfant perdu dans la nuit.

 

11- L’espace transitionnel et le jeu fantasmatique chez Donald Winnicott

Il écrit toujours « fantasy » en anglais, que ce soit pour parler de l’imaginaire de l’enfant, des jeux, ou des constructions psychiques. Mais il distingue souvent la fantasy créative qui est productive et adaptative à l’environnement pour l’être, le petit enfant que celle utilisé dans l’illusion défensive. La traduction française utilisera le f pour introduire le phantasme.

Avec Winnicott, une nuance décisive vient compléter l’héritage de Freud et de Klein. Alors que l’un et l’autre insistent avant tout sur la pulsion et ses mises en scène inconscientes, Winnicott déplace le regard vers l’environnement et la créativité du nourrisson. Pour lui, le fantasme ne peut vraiment s’épanouir que si l’enfant trouve, en face de lui, une « mère suffisamment bonne », c’est-à-dire une présence capable de répondre de façon ajustée à ses besoins. Lorsque le cadre maternel est fiable, l’enfant apprend progressivement à tolérer les petites absences, à supporter la frustration, et à investir un espace psychique situé entre lui et le monde extérieur.

C’est dans cet espace que Winnicott situe ce qu’il appelle l’aire transitionnelle. Ni tout à fait interne ni totalement externe, elle permet à l’enfant, soutenu par la fiabilité maternelle, d’inventer l’objet plutôt que de seulement l’halluciner ou de le détruire. De là naissent les premiers objets transitionnels, la couverture, la peluche, un geste répétitif , qui deviennent autant de supports au fantasme. Grâce à eux, l’enfant rejoue la présence de la mère, apprivoise son absence, et transforme l’angoisse en créativité.

Le fantasme prend alors une dimension nouvelle. Il n’est plus seulement théâtre de pulsions, comme chez Freud et Klein, mais véritable espace de jeu, de symbolisation, de création. Winnicott insiste : si cet espace transitionnel n’existe pas, le fantasme risque de s’enliser dans la persécution ou la dépendance. Mais lorsqu’il est respecté, il devient le socle de l’imagination, de la culture, et de cette expérience singulière qu’il décrit comme « être seul en présence de l’autre ».

 

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