Les frontaliers du Luxembourg, un Eldorado, à quel prix ?

Constat du développement pathologique et des risques psycho-sociaux chez les cadres supérieurs au Luxembourg.

 

La motivation première des frontaliers pour aller travailler au Luxembourg est celle bien sûr d’accéder à l’emploi avec un salaire décent et même confortable. Les plus aisés ou ceux qui appartiennent à une catégorie salariale dite privilégiée chercheront à s’installer au Grand duché afin d’optimiser et de diminuer le trajet entre leur domicile et leur travail.

Cette catégorie professionnelle reste minoritaire mais elle compense la plupart du temps le gain-temps du transport par une obligation informelle de travailler sans compter les heures et la séparation maison-travail n’existe pas réellement avec des moyennes de 60, 70 heures hebdomadaires effectuées. En effet, il serait compliqué pour cette catégorie de personne d’habiter à Thionville ou en Moselle pour répondre à leurs obligations professionnelles.Ces hommes et femmes n’effectuent pas des tâches physiquement éprouvantes mais l’usure de l’employeur sur leurs salariés se répercutent différemment. On les retrouve dans le secteur financier, bancaire, les cabinets d’audits, les avocats d’entreprise par exemple. Leur place au sein de l’entreprise est souvent située dans un rôle de management d’équipe où ils doivent superviser, former, apprendre, influer leurs subordonnées. A la fin de la journée, ils doivent participer à des cocktails informellement obligatoires ou clôturer des dossiers urgents. Des voyages d’affaires, loin de leurs familles, interviennent régulièrement pour accentuer la charge quotidienne de leur travail. Il est fréquent qu’avec le temps, nombreux sont ceux qui plongent dans ce que l’on surnomme l’alcool mondain où l’ébriété n’est jamais présente mais l’addiction dans leur corps et leur psyché apparaissent peu à peu. S’ils ont le bonheur d’avoir des enfants, il est fréquent que leur femme ou leur mari reste à la maison pour palier à leur éducation. Pour d’autres, il arrive fréquemment que l’absence du conjoint sur plusieurs années provoque une distance de plus en grande dans le temps pour les mener à une séparation ou à un divorce; l’amour est une construction dans la présence de l’autre et ne peut s’effectuer dans l’absence de son partenaire. Sous pressions constantes de la stratégie de l’entreprise, ils se retrouvent plongés dans des responsabilités de plus en plus croissante ayant des répercussions dans leur l’équilibre, la balance psychique  s’en trouvant ébranlée. Ils n’ont plus le choix. Ambitieux, ils gravissent les échelons dans le temps et se retrouvent prisonniers dans la tourmente, dans la nécessité du profit de l’entreprise. S’ils veulent garder leur standard de vie, ils doivent continuer sans pouvoir s’arrêter et moduler le rythme du travail. Grande maison, voiture coûteuse, procurant les meilleures écoles à leurs enfants, ils se retrouvent embrigadés dans un déséquilibre quotidien pour maintenir ce standard de vie. Ont-ils vraiment le choix? L’organisation du travail au sein de leur entreprise les rattache à ce rythme de vie. Pouvoir, responsabilité, ils accordent un véritable intérêt à leurs professions et dans le développement de leurs activités.

Mais l’intensité exigée ne leur appartient plus. Ils dirigent, managent leurs équipes,  influencent et répondent aux objectifs stratégiques de l’entreprise mais ne décident en rien à leur équilibre psychique. Entourés par leurs collaborateurs, une certaine mondanité, admirés ou détestés par leurs subordonnées, ils se retrouvent souvent isolés dans leur solitude, incapable de pouvoir s’investir, faute de temps, dans un autre domaine que leur profession. Leur bien-être est représenté par le paraître et non plus dans l’être, dans leurs vies privées, avec leurs partenaires, leurs enfants, les loisirs. Ils se retrouvent plongés dans une spirale infernale où ils ne peuvent faire autrement qu’avancer. De nombreux signes somatiques et psychosomatiques surgissent dans le temps, symptômes de leur déséquilibre psychique. Pourtant, ils aspirent à partager pour la plupart d’entre eux une vie privée, éduquer leurs enfants, à s’accorder régulièrement du temps pour eux-mêmes mais il est très difficile de pouvoir acquérir cette balance en exerçant leur métier pour vivre pleinement et sereinement leur vie.

Leur ambition se fait au détriment de leur véritable équilibre où notre société confond où nous nous incite à confondre argent, acquisition matériel, pouvoir avec bien-être et équilibre psychique. Il ne s’agit pas dans ce constat de remettre en cause l’ambition dans sa genèse mais plutôt l’intensité de l’ambition focalisée sur un déséquilibre, une seule donnée. Rare sont ceux qui désirent donner  un absolu que dans un seul domaine. L’équilibre d’un individu est plus propice au bien-être dans un rapport plus équitable entre vie privée, vie pour soi et vie professionnelle. C’est d’ailleurs le cas de certains nombres d’entre eux qui décident après un certains nombres d’années d’activité au sein de leur entreprise de s’installer à leur compte, afin de pouvoir moduler leur rythme de vie, ou de d’incorporer une entreprise de plus petite envergure, à valeurs humaines. Il est toujours possible de travailler au sein d’un grand groupe mais la réorganisation des responsabilités, du pouvoir, de l’argent doivent pouvoir s’exprimer avec en parallèle la possibilité aux salariés d’avoir aussi une vie personnelle enrichissante. Un patient, déprimer sans savoir qu’il l’est, dit à son thérapeute, en établissant un constat de sa propre vie: « je me lève le matin, je cours pour déposer les enfants à l’école, j’arrive au travail, je dois gérer une centaine de personnes, je sais déjà au début de ma journée que je ne pourrais répondre à toutes les urgences, que mon travail ne sera qu’à moitié fait, qu’un stress permanent va accompagner ma journée. Après une douzaine d’heures de travail, je rentre à la maison, épuisé.

Quand le week-end arrive, j’ ai des douleurs intestinales abominables et j’ai l’impression d’être fatigué en permanence. Je regarde ma vie, j’ai une belle maison, une belle voiture, de beaux enfants, une femme magnifique, un métier que j’aime mais moi je suis où dans tout cela ? J’aime mon métier, j’aime le poste que j’occupe, j’aime les responsabilités mais je me sens seul, isolé, sous pression permanente face à mon travail. Si je quitte mon travail, je risque de perdre tous mes acquis, mon pouvoir, mes responsabilités. Et pourtant la vie passe, j’ai l’impression de ne servir à rien, de ne pas en profiter ».